J’aurais pu raconter cette histoire de manière romancée, en puisant dans les étincelles qui sont toujours dans mes yeux. Mais je choisis de l’ancrer dans le réel pour que l’on puisse y croire, comprendre, et peut-être partager davantage la conclusion d’un tel récit.
Nous sommes un certain nombre de femmes à fantasmer plus ou moins explicitement sur des relations de soumission. Vouloir un homme qui prendra tout en charge, pour nous. Le laisser disposer de notre corps. Lâcher toute forme de contrôle et s’en remettre à lui. Accepter de souffrir physiquement, parfois. Je ne cherche pas à l’expliquer, chacune a ses raisons. J’ai fini par comprendre qu’il y avait en moi une volonté de retrouver quelque chose que j’avais toujours connu : l’emprise d’un ascendant, l’obéissance aveugle, le sentiment de n’être rien, mais sous une autre forme. Parce que c’est rassurant d’aller chercher le familier, le modèle de référence. Mais en se disant qu’on n’en est plus victime car puisqu’on le décide, puisqu’on le choisit, on est cette fois maîtresse de la situation.
J’ai envie d’éprouver ça… Mais j’ai des réticences. Je ne veux pas avoir mal, parce que si c’est au toucher que je m’abandonne le plus, la douleur me ramène aussitôt à ma conscience et me fait perdre tout lâcher prise. La soumission pour moi devrait être davantage cérébrale, psychologique, situationnelle, verbale. Il me faudrait surtout une personne de confiance. Quelqu’un qui me ressemble. Quelqu’un qui comprenne parfaitement mon projet et qui ne se l’accapare pas. Et un désir en miroir : un homme dont le besoin n’est que de servir mes envies parce que c’est précisément cela qui sert son plaisir.
Alors j’imagine…
Ce soir-là, comme chaque fois, je pénétrais dans son antre sans savoir ce qui m’y attendrait. Mais il m’avait prévenue que l’on passerait à un niveau supplémentaire, et nos échanges de messages dans les jours qui avaient précédé m’avaient donné un avant-goût de cette évolution. C’était peut-être là, l’erreur : trop planifiée, trop prévue, cette nuit-là perdait en mystère ce que ma conscience gagnait en informations. La bulle se mélangeait à ma réalité et je ne m’y reconnaissais pas. Je l’ai ainsi rejoint avec cet a priori qui ne m’a plus quittée. Le ton était plus dur. Les gestes étaient plus brusques. Il n’y a pas eu de sas, de transition. Je me suis vue subir ses sévices en étouffant mes protestations. J’ai été la spectatrice gênée de ces postures indécentes qu’il me faisait adopter. Je me suis sentie malmenée par celui qui pourtant, je le savais, débordait de respect pour moi. Mais pour la première fois il se faisait passer en premier. Sa volonté avait évincé la mienne et son plaisir, le mien. Dans la bulle, mais ancrée dans le réel… j’avais le vertige.
Je saurais plus tard qu’il s’en était aperçu.
Ce malaise, pour autant, n’aurait aucune conséquence, si ce n’est de me permettre de me connaître mieux. Car juste à ce moment où je m’apprêtais à revenir à « moi », il négocia un virage qui allait tout changer…
(à suivre)