Penser à la manière dont je vais m’habiller… Une jupe crayon, un pull en mailles fines et des escarpins s’il fait beau. Un haut noir léger, une jupe en tweed et des bottines s’il pleut. Trop simple ? Peut-être. Mais j’ai besoin d’être moi, de ne pas me sentir déguisée, d’être parfaitement à l’aise avec ce que je porte… Tout en étant potentiellement séduisante. Les chaussures ont leur importance. C’est le détail extérieur qui affiche l’élégance, pour moi. J’aime porter des talons pour la démarche qu’ils m’imposent, la légèreté de la cheville qu’ils soulignent et le galbe des jambes qu’ils subliment. Je sème le charme à travers d’autres bribes : les ongles vernis, le mouvement délié des cheveux, les ombres qui soulignent le regard, la discrétion des bijoux. Mais tout cela ne servirait à rien si je négligeais le choix des dessous. Qu’ils soient dévoilés ou pas importe peu. C’est ce qu’ils vont ajouter à mon assurance, et donc à mon allure, qui compte. J’ai choisi la guêpière d’un rose très pâle, presque blanc, la délicatesse de la dentelle et les bas couleur chair, pour les escarpins. Mais les bottines et la jupe en tweed sombres m’auraient aussi autorisée les bas noirs et le porte-jarretelles coordonné. Mon ensemble préféré. Je me demande si ton regard se portera sur ces détails. Si tu devineras ces appas…
Être témoin du premier regard. J’y suis toujours très attentive, car celui-là dit tout. La surprise heureuse, l’éblouissement, l’émotion, ou l’inaffection, l’indifférence, la déception. Il donne le la du moment qui va suivre. Me voir dans tes yeux, te surprendre, te subjuguer, t’astreindre au silence, t’intimider. Lire dans tes pensées ce « elle est encore mieux que je ne l’imaginais » ou ce « j’en étais sûr » que j’appelle de mes vœux. Oui, mon imaginaire est très prétentieux. Ne pas savoir s’il vaut mieux te faire la bise ou si nos lèvres ne vont pas être attirées l’une vers l’autre sans que je puisse le contrôler, alors que ma première envie est de te serrer dans mes bras, de longues secondes.
Observer tes manières. Ça, j’ai toujours un peu plus de mal. Tu te lèves pour m’accueillir, c’est entendu. Puis tu m’invites à m’asseoir en ajustant la chaise derrière moi. A moins que tu ne me laisses m’installer seule ? Interpelles-tu le serveur directement ou bien attends-tu qu’il passe près de nous après m’avoir demandé ce que je souhaitais boire ? Choisis-tu de commencer la conversation en me faisant un compliment, ou me demandes-tu simplement si le voyage s’est bien passé ? Comment poses-tu tes bras sur la table ? A quelle distance de moi ? Comment sont tes mains et quelles pensées m’inspirent-elles ?…
Je sais le décalage entre ce qu’on a mis tant de temps à idéaliser et ce qui nous saute aux yeux à la première rencontre. Je le sais réciproque, je ne m’en offusque pas. Je n’oublie pas qui tu es au-dedans et que ça, ça ne change pas. Toutes les images fantasmées ont été balayées en un clin d’œil et j’aime ça, je me sens plus à l’aise sur le socle stable et sûr des certitudes. Combien de temps sommes-nous restés là à discuter avant d’envisager autre chose ? On ne sait jamais ce qui va prendre le dessus de la patience ou de l’empressement. Est-ce toi ou est-ce moi qui a proposé de continuer cette conversation ailleurs ? La réponse a-t-elle été évidente ?… Non, je ne me pose pas vraiment la question. Nous avons pris cet ascenseur. Je ne veux pas que tu m’embrasses là. Tu l’as compris. Nous nous regardons sans rien nous dire mais nos pensées se bousculent dans nos esprits. Une sorte de panique sereine, une impatience maîtrisée de force derrière un léger sourire de façade. Mais un regard à la fois incrédule et gourmand, troublant et rassurant. Tu me laisses passer la première à l’ouverture des portes, puis tu prends ma main pour me conduire à celle de la chambre. Sortant la clé de la poche intérieure de ta veste, tu la passes devant la serrure qui s’ouvre dans un claquement sourd. Tu œuvres et m’invites à entrer. Je découvre une pièce spacieuse, joliment décorée, les rideaux tirés. J’apprécie la délicatesse de ce détail. Je pose mon manteau et te regarde en souriant, encore.
Tu t’approches de moi, tu prends mes mains. Tu les regardes puis les portes à tes lèvres, tes yeux cette fois plongés dans les miens. Tu déposes mes bras sur tes épaules pour attraper ma taille et me serrer contre toi, longtemps. Pour la dernière fois je ne peux m’empêcher de me demander si tu n’es pas déçu par ce que tu découvres… Je suis fébrile, à cet instant… Tu respires le parfum au creux de mon cou et l’odeur de mes cheveux. Puis tu t’écartes un peu, tu poses ta main dans mon cou, une autre sur ma joue et je sens ton pouce caresser ma peau. Tu me regardes. Tu retardes le moment où nos lèvres se rencontreront, où nos langues se mêleront, car tu sais comme moi qu’ensuite on ne pourra plus s’arrêter. Tu embrasses ma tempe, mon front, ma joue, mon cou… Et c’est le point de non retour…
J’entrevois des geste lents, des bouches et des mains qui savourent, qui frôlent, qui attrapent, j’entends des respirations profondes et le bruissement des tissus. Je sais que la fougue remplacera cette douceur, mais je ne sais pas quand. Ma raison a abdiqué dès que tu m’as touchée. Les sensations ont pris la place de mes pensées. Je les ressens au moment même où j’écris ces lignes, l’excitation, le désir impérieux, l’empressement, l’envie de fusion, l’abandon. Je ne peux voir que des flashs, des peaux presque nues, des muscles tendus, des sexes humides, la chaleur, la moiteur, la ferveur, ta fermeté et ma soumission à ce plaisir nouveau, attendu, intense, qui envahit toute ma tête, ma peau, mon être, alors qu’on s’appartient enfin.
Après ça la tendresse. Les confidences. Les déclarations ? Et puis très vite, trop tôt, le moment de fermer la parenthèse.
Un souvenir qui n’a pas existé, est-ce un rêve ? Un projet ?… Ce souvenir me manque. Me voilà dépeuplée.