La guerre

La guerre

L’ennemi s’est immiscé, silencieusement et dans l’ombre. Longtemps il a paru inoffensif. Et puis il s’est déclaré. Tout à coup sans qu’on n’ait rien fait, rien voulu, c’est la guerre. Le corps comme une champ de bataille que l’on perce, que l’on sonde, que l’on déchire, que l’on bombarde et qu’on détruit, l’esprit qui ne peut rien comprendre et le coeur qui ne suit pas.

Le sein, symbole de féminité, de beauté, ce sein qui a charmé, qui a nourri, qui n’était fait que pour les caresses, la chaleur, l’amour et la tendresse, est attaqué. La riposte est rapide, terrible, redoutable. En un instant il n’est plus que chair cabossée, effrayant champ de ruines aux contours irréguliers, difforme. Sacrifié.

Le regarder avec horreur, lui qui témoigne de l’horrible bataille qu’il faut mener. Vivre avec la douleur terrassante d’une partie de soi qui n’est plus qu’un fantôme. Et tout à la fois commencer le deuil d’une peau dont on ne sentira plus la douceur, d’une zone érogène qui ne frissonnera jamais plus, se faire à l’idée que ce sein ne sera plus que les décombres d’une part de ma féminité, cette image qui vous avait tant plu.

Dedans

Dedans

Octobre rose est terminé, place au movember. Enfin pour ceux que ça préoccupe.

Aujourd’hui je repense à ces plus ou moins proches qui m’ont annoncé leur cancer, et a posteriori, la distance avec laquelle j’ai reçu cela me heurte. Oui, je vous entends déjà : c’est bien naturel quand on n’est pas touché(e) dans sa chair. Et cette distance est salvatrice, elle nous protège du grand vide glacial d’une telle projection. Du reste, j’étais persuadée de faire ce que je pouvais pour ceux qui s’étaient confiés à moi, mais avec le recul je le constate, sans véritable empathie. J’ai pris de leurs nouvelles poliment, régulièrement, mais du bout des lèvres, en restant égoïstement loin de leur désarroi profond, de la noyade et de la peur.

Si je m’étais approchée un peu j’aurais vu l’impuissance dans toute sa laideur. J’aurais vu la panique, la perdition, l’apathie aussi, par moments. J’aurais vu le déferlement soudain des larmes, puis l’onde silencieuse, puis la tempête, encore. J’aurais vu l’angoisse lancinante qui sans prévenir vient violemment vous étrangler. J’aurais vu aussi la solitude insondable de l’être dans la désespérance, celle qui ne ressemble à aucune autre qualité de solitude, celle qu’on efface à coups de projets, de vacances, de quotidien, de divertissements, de toutes ces choses qui comptent quand on a oublié qu’on va mourir.

Et puis j’aurais su ce que c’était que de devoir se rendre régulièrement à l’hôpital, et s’y créer des habitudes. On m’aurait sans doute raconté que la notion du temps là-bas n’existe plus. Que les examens sont longs, qu’il faut patienter beaucoup. Qu’on y va parfois pour une simple visite de quelques minutes mais qu’on y reste finalement des heures, et qu’importent les obligations de l’extérieur. Quand on entre dans cette boîte, ce qui se vit autour n’existe plus. J’aurais vu les bleus sur les avant-bras, entendu le son des bipeurs, j’aurais tenu la main. J’aurais appris que là-bas, les qualités humaines comptent triple. J’aurais traversé beaucoup de couloirs tous identiques, me serais perdue dans les halls et me serais trompée d’ascenseurs. J’aurais passé du temps dans les salles d’attente à lire les affiches sur les murs, à noter les noms et les numéros d’appel des associations, à m’étonner du nombre de personnes qui œuvrent pour le bien-être des patients. J’aurais observé la grande diversité de ces-derniers : ceux qui sourient coûte que coûte soit par convention sociale soit pour se donner de l’élan ; ceux qui semblent courbés par la peur ; ceux qui mettent un point d’honneur à rester dignes et élégants ; ceux qui sont si fatigués qu’ils se fichent du regard qu’on pose sur eux. Et puis les proches, les accompagnants, ceux qui ont un œil sur la vie et un œil sur la tombe.

J’aurais découvert que ce qu’il y a de pire dans le cancer ce ne sont pas les tumeurs mais les effets des médicaments qui les combattent. Que pire que de se savoir malade, il y a se voir faiblir, diminuer, ou vieillir prématurément sous la loi des traitements auxquels on consent par obligation. J’aurais compris combien c’est terrible la ménopause quand elle n’arrive pas naturellement. J’aurais perçu l’importance, la nécessité vitale de vouloir rester belle. J’aurais mesuré un peu mieux le temps du cancer, qui ne se compte pas en jours, ni en semaines, ni en mois, mais en années, et parfois même en décennie.

Je me serais demandé enfin pourquoi on parle du cancer au singulier alors que chaque cas au sein de cette pathologie est différent. J’aurais réalisé que le cancer, c’est une histoire d’individus, de cas particuliers. J’aurais réalisé que ça n’est pas parce qu’on a l’air d’aller bien qu’on va bien, que ça n’est pas parce qu’on a encore des cheveux qu’on est moins malade, qu’une tumeur ça ne fait pas de bruit, ça ne se montre pas, et qu’il est possible de vivre une vie d’apparence ordinaire pendant que la mort hante les corps et les cœurs au-dedans.

J’aurais pu, enfin, apporter du soutien à ceux qui partagent la vie d’un malade, ces témoins impuissants du destin. J’aurais connu comme eux l’insuffisance et la colère. J’aurais supporté avec des parents le poids de l’ombre de la mort de leur enfant. J’aurais pleuré avec ceux qui, se sachant malades, doivent planter comme un couteau dans le cœur de leurs bambins le premier grand drame de leur vie. J’aurais dû survivre moi aussi au face à face constant, redoutable, dantesque, avec la Grande Faucheuse.

Il n’y a pas de morale à cette histoire, mais une évidence : il vaut mieux être dehors que dedans.

Je suis l’océan

Je suis l’océan

C’est étrange de découvrir encore, à 43 ans, des émotions jamais ressenties. Je parviens malgré la claque à regarder ça à distance, et à m’émerveiller du spectacle de ces sentiments nouveaux qui se sont invités en moi.

J’étais hier chez mon médecin traitant, comme ce fut le cas l’an dernier, pour le même examen. Alors cette année j’y suis retournée avec une naïveté qui avec le recul me parait totalement absurde. Elle me l’a rappelé durant ce rendez-vous : l’année dernière elle m’avait annoncé les résultats par téléphone. J’avais oublié… Je ne me suis absolument pas méfiée. Hier, donc, je me suis assise avec le sourire devant cette femme médecin chaleureuse et humaine qui me suit depuis tellement d’années, dans ce bureau familier, en confiance. J’avais en tête mes prochaines vacances et cette reconversion professionnelle qui prenait forme concrètement.

Et puis brusquement, par surprise, la vie bascule. Alors qu’on regarde ailleurs, elle vous plaque au sol comme ça, sans raison. Cette fois c’est une tumeur cancéreuse.

Mon cerveau court-circuite. Des larmes coulent. Je ne comprends pas ce qui se passe en moi. J’entends “chimio”, “radiothérapie”, “arrêt maladie”, “il faudra se battre”, celui-là répété plusieurs fois. J’entends que la prise en charge doit être rapide et qu’elle m’obtiendra un rendez-vous dans la semaine. Voilà. L’horizon change. Je passe des vacances d’été aux soins hospitaliers. Les cumulonimbus ont envahi mon ciel bleu. Tout cela se mélange dans l’image mentale d’un paysage océanique orageux et tourmenté. Une image qui ne me quittera pas.

Je ne sais même pas si j’ai peur. Je ne sais pas ce que je dois faire. Je ne sais pas comment maîtriser ce qui me traverse. Alors étonnamment, ce qui domine, c’est le lâcher-prise. Une sorte d’apaisement au fond qui colore la vie comme un filtre, atténuant la saturation de l’image tout en augmentant la luminosité. Ce qui me paraissait compliqué devient simple. Voir les heures passer devient beau, quoi que j’en fasse. Rien n’a changé et pourtant tout a changé.

Et puis dans cet apaisement, les larmes. Elles viennent et coulent sans contrôle, à certains moments. Elles parlent pour moi. Chacune d’elles est un mot que je ne dis pas. J’ai l’impression d’être devenue l’océan, d’en ressentir la houle, au large, silencieuse et calme, puis d’être entraînée en vagues sur le réel, le frapper brusquement, endurer le choc et enfin éprouver le ressac qui me malmène et me noie. Pour l’instant ce mouvement l’emporte. Je ne suis pas assez forte pour le maîtriser ni en faire quoi que ce soit. Alors j’accepte. Je me laisse faire.

Quand j’aurai identifié plus précisément le danger, je constituerai sans doute mon armée et mon plan d’action. En attendant je vis l’inconnu et le mystère. Je suis l’océan, cette vaste étendue d’eau qui change au gré du vent et des mouvements du sol, portée par la Terre et soumise à ses lois.

Lettre à la suivante

Lettre à la suivante

Lequel de Lui as-tu choisi ? Le sportif au corps musclé et à l’hygiène de vie irréprochable, celui dont on rêve de caresser les courbes fermes et dans les bras de qui tu te sentiras protégée ? Est-ce le mâle dominant et sexuel, celui dont on veut qu’il nous tienne et qui te conduira de manière sûre là où tu n’oses aller seule ? Ou bien encore le doux romantique, celui à qui on demande un air de guitare et qui ne jouera que pour toi ?

Est-ce que tu les veux tous ? Petite effrontée… Es-tu seulement de taille ? Tes intentions sont-elles sincèrement bienveillantes ? Qu’as-tu, toi, à lui offrir ? Sache que je ne t’aime pas. Sauf si tu lui veux du bien. Je voudrais pouvoir te choisir moi-même, lire en toi et savoir si tu le rendras heureux.

Tu t’attends peut-être à ce que je te livre ses secrets… Je n’en ferai rien. Il faudra que tu saches voir en lui ce qu’il cache et déchiffrer ce qu’il montre. Car vois-tu, il n’est pas si facile à lire. Si c’est ce que tu penses, vas-t’en.

Celui que tu convoites est un homme rare. Tu ne le verras peut-être pas tout de suite, mais tu finiras par le savoir et tu seras subjuguée par le privilège qu’il t’aura fait en choisissant de t’aimer. Si tu as eu de la chance en amour, il sera à la hauteur de tes attentes. Il cumulera sans doute à lui seul toutes les qualités de tes précédentes relations. Si tu n’as vécu que des amours tristes et décevantes, tu n’en croiras pas ton coeur et tu chercheras le vice caché, sans jamais le trouver. Méfiante, tu fuiras peut-être, alors. Mais il te rattraperas toujours. Cet homme-là ne lâchera jamais ta main.

Il écoutera toujours le moindre de tes battements, le moindre souffle, le moindre frisson et il voudra toujours le comprendre. Il cherchera toutes les clés de toutes les portes qui mènent à ton bonheur, qu’importe le temps que cela pourrait prendre. Il ne comptera ni les heures, ni les efforts, ni l’argent ni les kilomètres. Il ne comptera pas même ses larmes et te pardonnera toutes tes faiblesses. Il te relèvera toujours de tout et si tu préfères rester à terre, il s’assiéra à côté de toi autant de temps qu’il le faudra. Il aura les mots. Il aura les gestes. Il aura surtout les intentions les plus louables et les attentions les plus belles.

Il sera l’esclave de ton plaisir. Il te touchera comme personne avant lui. Ses mains, sa langue, ses lèvres parcoureront chaque parcelle de ta peau, chaque recoin de ton sexe, traduisant tes mouvements et tes expressions avec érudition pour te mener vers l’extase. Avec lui, ce sera toujours la seule et unique destination. Il saura se faire chat, chien, loup, promeneur ou aventurier, élève ou maître, fougueux, impétueux, impavide, mais aussi patient et contemplatif. Sa douceur n’a d’égal que son intensité.

Son unique but, à lui, sera de te rendre heureuse à chaque pas que tu feras dès que tu l’auras conquis. Toi, que feras-tu de ça ?

Accepte sa liberté. Pardonne-lui ses erreurs. Accorde-lui ton temps. Explore ses plaisirs. Ecoute son coeur. Comprends ses propos. Prends soin de ses confidences. Tiens la main de l’homme et entends le petit garçon.

Il mérite le meilleur. Demande-toi si c’est toi. Et si tu peux répondre oui sans comédie, sans mensonge ni arrogance, alors…d’accord. Cette place est la tienne à présent.