La tentation du mystère

J’aime le dialogue. J’ai rencontré peu d’hommes avec lesquels un vrai échange intellectuel et profond soit possible, tant la séduction, ses codes et ses objectifs viennent parasiter le simple débat d’idées. C’est pour cela je crois que j’aime le virtuel. Ici, les mots précèdent la vision d’un visage ou d’un corps. ils sont les seuls auxquels s’accrocher pour y discerner quelque chose d’attirant ou de rédhibitoire : la patience ou l’empressement, l’assurance ou la fébrilité, les manières, la culture et les intentions. Ensuite, bien sûr qu’il faut « voir ». Même si une photo ne dit pas tout, pour se donner, il faut une attirance physique. Du moins c’est ce que je croyais…

J’ai poussé la porte de l’appartement de cet homme que je ne connaissais pas. Je suis entrée dans son couloir, y faisant pénétrer une dernière fois la lumière, ai retiré mon manteau et me suis dirigée vers la pièce indiquée faisant claquer mes talons sur le parquet. Il était là, au centre, assis sur un fauteuil dans la pénombre. Il avait mis de la musique et m’a salué d’un « Bonjour Anaïs » : sa voix…le premier mystère dévoilé. Il a découvert la mienne, aussi. Il me dira plus tard qu’il la trouve inspirante. Mais pour l’instant, je m’installe sur le canapé, juste à côté. C’est la première scène d’un scénario bien rôdé écrit à quatre mains, basé sur la patience, la résistance au désir et la volonté de caresser les étapes plutôt que de les brûler.

J’ai le sourire et cette assurance feinte des premières paroles échangées, alors que ma position trahit certainement ma retenue. Je m’en rends compte mais ne la corrige pas. Je me dis que cette contradiction est heureuse : il prendra ce qu’il voudra de ce que je lui montre alors. A son intonation, à sa façon de parler, je reconnais une timidité qui tranche avec l’assurance de ses dialogues virtuels : il a les stigmates des bons rapports en société, les énoncés phatiques, les petits rires polis, qui traduisent le paradoxe entre l’intention d’exprimer que tout est sous contrôle et le trouble qu’ils trahissent. Je perçois cela. A mon grand regret, j’en ai l’habitude. Il me confirme ainsi que j’ai le dessus et cela encourage mon assurance. Je ne ressens cependant aucun malaise entre lui et moi, notre conversation est aussi fluide que par écrans interposés. C’est l’avantage des échanges riches et denses : non seulement nous ne manquons pas de sujets à évoquer, mais en plus chacune de nos paroles reçoit un écho pertinent. C’est très plaisant et je savoure cette cohérence entre le virtuel et l’existant. Notre connivence me séduit, décidément.

C’est lui qui se décide le premier à s’approcher de moi. Il m’a demandé la permission… une marque de respect que j’interprète plutôt comme une certaine appréhension. La mienne s’exprime par une réponse qui se veut gentiment moqueuse. Mon corps se tourne vers lui. Il est habillé de noir, en caméléon. De son visage, je ne discerne que des traits vagues que je tente de comparer à la photo que j’ai en mémoire. Certains ne correspondent pas… Les photos sont rarement probantes. Je me demande ce qu’il voit de moi, qui porte un haut blanc en soie, légèrement brillant. Je l’ai choisi pour sa légèreté et sa douceur, sans penser que sa couleur était contraire à toute vélléité de camouflage. Et puis j’ai face à moi une fenêtre aux rideaux translucides qui laisse entrer une infime partie des lumières de la rue. Assez, me dis-je, pour faire ressortir mes yeux soulignés de noir et ce sourire qui ne me quitte pas.

Et puis nos mains se touchent et c’est toute sa sensibilité qui éclate. J’avais oublié qu’une simple caresse pouvait faire frémir, et que la main était empreinte de tant d’intimité. Je l’ai remercié intérieurement de me rappeler cela, de me démontrer que ma peau pouvait encore être source de trouble et de plaisir… Et puis je me suis approchée. Ma main est remontée jusqu’à son cou, au creux de son oreille. Nos joues se sont frôlées, dévoilant un second mystère : le parfum. L’odeur des hommes me transporte, il fallait qu’elle me plaise. J’ai senti son souffle et porté attention à sa respiration, comme il a pu percevoir que la mienne se faisait plus profonde. C’est à ce moment-là, je crois, que la tentation a gagné du terrain sur le mystère.

Puis nous nous sommes levés. Sans doute voulait-il percevoir ma taille. Je triche, je mets presque toujours des talons. Nous nous sommes enlacés, balancés, jusqu’à ce que mon corps se presse entre le sien et le mur. Il a passé ses mains dans mon dos, sous le tissu. Nos lèvres se sont frôlées. Je voulais ses mains entièrement sur ma peau, j’ai enlevé mon chemisier. Elles ont parcouru mes hanches, ma taille, et timidement, mes seins. La tentation, encore, gagna une bataille contre nos patiences. Je ne réfléchissais déjà plus lorsqu’on s’est embrassés… Enfin…

Il y a eu comme un coup d’accélérateur, ensuite. Il a dégrafé mon soutien-gorge, a parcouru mon buste…encore…puis mon dos…encore… Il attrapais parfois mes cheveux pour diriger ma bouche où il la désirait. C’était furtif. Trop. Comme un élan tout de suite réprimé, pour une raison qui m’échappe encore. Les hommes souhaitent-ils tous paraître doux et respectueux la première fois ? Faut-il toujours que les codes surpassent la pulsion ? Je le comprends, pourtant, pour avoir trop souvent moi aussi été victime de ce biais. Il m’a allongée sur le canapé, mélangeant ses jambes aux miennes, puis comprenant que de mes épaules à mes reins, toute mon épine dorsale tressaillait sous ses doigts, il m’a offert de masser cette zone si érogène chez moi. A cet instant j’ai espéré très fort qu’il refrène mes ardeurs car je savais, moi, que je ne m’arrêterais pas. Mais c’est tout le contraire qui arriva. Mon pantalon – vaine tentative vestimentaire de couper court à tout désir pressant – a rejoint le sol, puis ma culotte, et ses lèvres et sa langue se sont emparées de mon sexe comme on découvre une nouvelle friandise : avec avidité, mais en prenant le temps de la dégustation. A-t-il apprécié les bas et les jarretelles qu’il a découvert alors, ou y a-t-il vu un artifice inutile ? S’est-il dit que j’avais prévu qu’il me déshabille, m’ôtant dès cet instant le charme de l’amante incorruptible et farouche, et lui enlevant du même coup l’orgueil de son succès ?…

Je ne manque pas d’audace. C’est elle qui m’a rendue femme. Et pourtant… Si on m’avait dit que je me donnerais ainsi à un homme sans avoir percé son regard, je ne l’aurais pas cru. Moi et mon obsession de la prudence et du contrôle. Moi qui m’enorgueillis de pouvoir lire dans les yeux d’un homme ce qu’il a en lui. Je n’aurais pas cru que j’exhiberais ainsi dans la pénombre mon corps entier sans pudeur offrant ma peau à la sienne, ma poitrine à ses mains, ma bouche à sa queue, lui servant le spectacle de mes cuisses écartées et de mes doigts jouant avec mon plaisir,  lui révélant la langueur de mes soupirs et l’onde de mes orgasmes… Je n’aurais pas parié sur cette impatience. Ni sur ce mot qui me hante depuis. Encore.

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