Sinusoïdal

Je ne sais pourquoi je m’impose systématiquement un maquillage étudié de mes yeux avant nos rendez-vous, puisque mon regard lui sera interdit… Une manière sans doute de prendre de l’assurance, de dessiner cette femme qui se cache mais qui ne tremble pas, à la respiration lente et au pas assuré. Je pourrais en revanche faire ressortir ma bouche d’un carmin incendiaire et provocant mais qui, monopolisant totalement son regard, ferait mentir ma nature discrète… Ainsi, mon visage à lui seul trahit cet imperceptible paradoxe qui réunit l’audace et la timidité en un seul et même corps.

C’est donc les yeux bandés et sans rouge à lèvres qu’une nouvelle fois, j’entre chez lui. Toujours cette odeur de cigarette froide mêlée à celle des bougies parfumées. Toujours ce silence qui attend le mien et précède le bruit de son pas. Je suis maintenant conditionnée par ces détails devenus rituels. Il s’approche de moi, pose ses mains sur mes épaules et plonge sa bouche dans mon cou. Il m’embrasse, me caresse, puis attrape mes cheveux pour me diriger là où il souhaite prendre du plaisir. Ses mots sont le chemin qui me mène vers cet ailleurs dont j’ai tellement envie.

Il me prend les mains avec délicatesse pour m’accompagner dans sa chambre. « Enlève ta robe »…et je m’exécute. J’aime cette autorité teintée de douceur et je m’offre à ce regard que je sais empreint d’un désir ardent. Les plaisirs de la bouche ont notre préférence. Ma langue, mes lèvres devenues objets de luxure, ne se lassent pas d’être utilisées. Il en dispose à sa guise et lorsqu’il estime que je l’ai mérité ou lorsque lui-même n’en peut plus de frustrer son appétit, il m’assoit sur un fauteuil afin que je lui expose licencieusement ma perversion : les cuisses outrageusement écartées, mes mains qui les parcourent, mes doigts qui s’arrêtent sur mon sexe et qui très vite sont remplacés par sa bouche gourmande…et mon souffle, qui s’accélère. Dans un effort de maîtrise qu’il s’impose, il recule parfois pour se délecter du spectacle de cette femme, lascive et aveugle, qui exhibe son corps et ses soupirs.

Puis une pause, alors que je brûlais qu’il me possède… Il me propose de nous sustenter et en profite pour me raconter ce qui m’attend, ensuite. Alors qu’il me parle, je sens sur la moiteur de mon sexe la fraîcheur suave de quelque chose que je n’identifie pas immédiatement. Puis son goût dans ma bouche. Des saveurs mêlées d’oranges, de pommes et de cyprine… Les sensations que ces fruits procurent sur mes lèvres et sur ma peau me transportent et je dois faire un réel effort pour rester attentive à ses propos. Il m’emmène me dit-il chez une personne qui doit « parfaire mon éducation ». Mon cerveau se reconnecte à ces mots. Ils résonnent en moi à la fois de manière très érotique, rappelant à ma mémoire de lointains récits, mais injurieuse aussi, avec cette impression soudaine et désagréable d’être fautive. Aussitôt mon caractère réfractaire refait surface. Il restera en alerte jusqu’à notre arrivée chez le Marquis.

Voyager dans le noir sans savoir où l’on m’emmène… Je pourrai dire que j’ai vécu cela aussi. L’excitation et la fébrilité mêlées que je connais bien, maintenant, mais dans un nouveau décor. Je suis soulagée lorsque nous arrivons. A-t-il perçu mon malaise, a-t-il regretté son choix ou n’y a-t-il vu que du feu ?… Il sonne et un homme vient nous ouvrir. Un voile se lève. Sa voix est parée de bienveillance, de douceur et d’élégance. Il me guide dans la pièce principale et tout sent bon autour de moi. Je suis installée confortablement, déshabillée, et on me sert du vin. J’entends leur conversation tout près. Ils feignent de ne pas faire attention à moi mais je me sens observée. J’aime ce moment. Qu’ils fassent semblant que je n’existe pas. J’aimerais qu’ils parlent de moi à la troisième personne, qu’ils évoquent cette petite dépravée qui n’est pas encore moi, à ce moment-là. Celle qui obéit sans retenue, qui reproduit les gestes qu’on lui ordonne et répète les paroles qu’on lui souffle. Celle qui lâche prise dans le jeu d’une relation verticale et prend plaisir à être en bas, à leurs pieds, mais au centre de la scène. Cette femme-là ne s’offusquerait pas qu’on veuille l’éduquer. Elle s’impatienterait, plutôt, de montrer à quel point elle peut être brillante dans ce rôle.

Mais une autre scène, cependant, devait se jouer ce jour-là. Sans que je n’en comprenne vraiment les raisons, le Maître fait preuve d’un empressement soudain et le Marquis se mue en prédateur sans que je n’ai pu jouir de son autorité. Je suis menée à l’étage pour être dévorée, dégustée… À mon tour je me fonds dans cette ambiance animale, et mon appétit surpassera le leur. A leurs pieds, mais avide, insatiable, totalement lubrique. C’est ainsi qu’il voulait me voir et il sait comment s’y prendre. Voyeur de mes désirs, de mes plaisirs, de mes orgasmes, il a tout à coup ce geste étrange et surprenant de retirer mon bandeau… Enfin… Je n’ai pas saisi immédiatement qu’il voulait lire la jouissance dans mes yeux. J’ai cru à une pulsion non contrôlée, j’ai cru qu’il regrettait, alors j’ai gardé les yeux fermés jusqu’à ce que nos souffles s’apaisent et qu’il prenne mon visage entre ses mains.

Les yeux ouverts après nos ébats, sans fards, je me suis sentie nue. Pas mon corps. Mon âme. Parce que je voyais la leur, ils devaient voir la mienne. Disparus les prédateurs, évanouie l’autorité, ils n’étaient plus que velours et moi, à côté d’eux, j’étais perdue dans cette soudaine horizontalité que je découvrais auprès de lui pour la première fois…

4 réflexions sur “Sinusoïdal

  1. C’est l’été. Dans le parc, je suis seul, il fait chaud. Je te lis, et je m’enivre de tes mots, tes mots de luxure, et je sens le désir monter, seul au pied de mon arbre, dans le parc. Je pénètre ta prose, délicieuse, offerte au Maître, au Marquis, à tous dans ce blog, à moi. Quoi de plus beau que de ressentir le désir et le plaisir féminin de l’intérieur ? Tu as le don de t’offrir au-delà de ton corps, d’offrir ta nudité, corps et âme, dans la beauté de tes mots. Au pied de mon arbre, je suis moite, j’ai la gorge sèche, je lis et relis, je passe et je repasse, ça monte, « …confortablement, déshabillée, on me sert du vin », puis « les cuisses outragement écartées », et « avide insatiable, totalement lubrique ». Je relis, encore une fois « voyeur de mes désirs », c’est bon ça… « ambiance animale » oohh !! « mes lèvres devenue objet de luxure », encore !! « je lui expose licencieusement ma perversion »…
    Je me fais bouffer par les moustiques.
    Dure réalité

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire